Brigitte Challande, 11 novembre 2025. Comment les équipes de l'UJFP transforment la faim dans les camps de déplacés en moments d'espoir et maintiennent l'école, comptes rendus des 9 et 10 novembre.
Jusqu'à la dernière marmite: un repas qui donne vie
« Au cœur de la bande de Gaza, là où les tentes s'étendent sur le sable et où le souffle de la fatigue se mêle au bruit du vent, les familles déplacées vivent les scènes humaines les plus dures, ayant perdu leurs maisons et tout ce qui représentait pour elles la sécurité et la stabilité. Au milieu de la peur et de la faim, la nourriture demeure l'un des besoins les plus essentiels pour tenir bon. Chaque matin, les familles se réveillent face à une réalité douloureuse : obtenir un repas chaud est devenu un rêve difficile à atteindre.
Dans ce contexte tragique, les équipes de l'UJFP travaillent sans relâche pour fournir tout le soutien humanitaire possible. En arrivant dans les camps, nous sommes confrontés à une souffrance sans fin, semblable à une route interminable : des enfants pieds nus, des mères impuissantes face à la faim de leurs propres enfants, et des personnes âgées attendant qu'on leur apporte de quoi survivre.
Dès les premières heures de la matinée, nos équipes commencent la préparation des repas à Mawassi Khan Younès et à Deir al-Balah. Avec détermination, nous lavons les légumes avec peu d'eau, trions soigneusement le riz et préparons les grandes marmites sur le feu. La vapeur qui s'en échappe est la preuve que la vie peut encore être réparée, ne serait-ce qu'un peu, grâce à un repas.
Il n'y a ni boîtes, ni listes de distribution. Les femmes et les enfants arrivent avec leurs propres récipients, patients, autour des marmites. Une mère s'avance, tenant un pot rempli d'espoir plus que de vide. À ses côtés, un enfant, serrant son petit récipient avec le peu d'énergie qui lui reste. Nous remplissons ces contenants avec soin, car nous savons que ce que nous donnons n'est pas seulement de la nourriture, mais un moment de dignité, un instant de chaleur au milieu de la tempête.
Certains jours, l'odeur des repas qui flotte dans l'air suffit à faire sourire les enfants avant même qu'ils ne soient servis. Quand les plats sont enfin remplis, ils retournent en courant vers leurs tentes comme s'ils portaient un trésor. Certains ouvrent aussitôt le couvercle pour s'assurer que la nourriture est toujours chaude. Les mères, elles, sont celles qui comprennent le mieux la valeur de ce repas : elles savent que cette nuit, leurs enfants dormiront sans pleurer.
Sur le lieu de cuisson, nous faisons face au feu, au vent, parfois à la pluie, mais nos mains ne cessent jamais de travailler. Nous ajoutons le sel, remuons les marmites, surveillons la cuisson, et à chaque instant, nous nous souvenons que derrière chaque récipient se trouve une famille qui attend. À Deir al-Balah, la scène se répète : seuls changent les visages et les histoires. Les tentes se multiplient, les besoins grandissent, mais notre détermination grandit avec eux. Nous accueillons chacun avec un sourire, malgré la fatigue, car ils ont besoin d'être vus autant que d'être nourris.
Avec chaque flamme qui s'élève, nous sentons l'espoir monter. Chaque assiette servie est une étape dans la lutte pour la survie. Quand nous entendons les enfants dire : « Aujourd'hui, nous mangerons un repas chaud », notre volonté de continuer se renforce. En voyant les mères observer la nourriture remplir leurs récipients, nous comprenons que nous n'offrons pas qu'un repas, mais un fragment de vie retrouvé.
Les repas apportent de l'énergie aux corps, du réconfort aux cœurs, et une paix provisoire aux âmes dans le chaos. Ils allègent le sentiment d'impuissance des pères face à leurs familles, sèchent les larmes des mères qui ne savent plus comment nourrir leurs enfants. Certains jours, les ingrédients sont insuffisants, mais nous partageons tout ce que nous pouvons et continuons malgré tout. Car nous ne cuisinons pas pour des chiffres, nous cuisinons pour l'humain.
Dans les camps, un simple repas devient une petite célébration à l'intérieur des tentes. Les enfants mangent dans un silence empreint de gratitude, puis s'endorment tôt, rassasiés pour la première fois depuis longtemps. Le repas leur rend la capacité de sourire, et aux mères celle de respirer sans angoisse, ne serait-ce que quelques heures. Nous comprenons alors que la nourriture est un soutien psychologique, une présence humaine, un acte de dignité rendu à ceux que l'exil a dépouillés.
Jour après jour, à chaque marmite vidée, nous croyons davantage que l'humanité n'est pas un slogan mais une action. Cuisiner à Mawassi Khan Younès et à Deir al-Balah est une forme de résistance : contre la faim, contre le désespoir, contre l'effondrement. Nous cuisinons pour protéger la vie, nous distribuons pour préserver la dignité, nous revenons parce qu'il y a toujours quelqu'un qui nous attend.
Nous ne promettons pas grand-chose, si ce n'est de revenir demain, avec une nouvelle marmite, un nouveau repas et un nouvel espoir. Chaque jour, lorsque nous quittons le lieu de cuisson alors que le soleil se couche, la fatigue s'efface devant les regards reconnaissants qui nous disent adieu. Car le don ne réside pas dans ce que nous déposons dans les récipients, mais dans ce que l'action laisse dans les cœurs.
Nous resterons ici, là où le besoin dépasse la force, où l'humain compte plus que les circonstances. Nous continuerons jusqu'à la dernière marmite, jusqu'au dernier repas, parce que Gaza le mérite, parce que l'humanité mérite que nous restions. »
Photos et vidéos : Distribution de repas au camp d'Al Fajr (agriculteurs) / Distribution de repas au camp d'Al-Hilal
L'action éducative est au rendez-vous à Gaza : entre douleur et espoir, l'avenir. Compte-rendu du 10 novembre.
L'enseignement protège l'identité de la société gazaouie
« Il est impossible d'évoquer l'avenir de Gaza sans s'arrêter sur l'instruction, car elle n'est pas seulement un secteur de services, mais la dernière ligne de défense qui protège l'identité de la société et assure sa survie malgré toutes les tentatives de l'épuiser. Gaza paie un lourd tribut sur le plan éducatif. Les bombardements ne détruisent pas uniquement les bâtiments, ils barrent aussi la route aux étudiants, entravent la capacité des enseignants à poursuivre leur mission, et transforment l'école, autrefois un espace éducatif stable, en un lieu d'incertitude, oscillant entre fermetures, déplacements forcés et manque de ressources. Aujourd'hui, l'élève gazaoui ne passe pas seulement l'examen des programmes scolaires, il est également mis à l'épreuve dans sa capacité à apprendre au milieu de la peur, à se concentrer dans le vacarme et à continuer de rêver dans un environnement qui lui impose le contraire. C'est un combat psychologique, intellectuel qui dépasse les murs de la classe.
Malgré ces conditions, le train de l'éducation ne s'est jamais totalement arrêté. Il a simplement dû changer de forme et d'outils, donnant naissance à l'enseignement numérique, devenu une nécessité vitale plutôt qu'un luxe. Internet, malgré son accès limité et les coupures d'électricité, est devenu une fenêtre indispensable. À travers lui, des milliers d'étudiants tentent de rattraper ce qu'ils ont perdu, en suivant des cours en ligne, en participant à des conférences à distance, en s'instruisant grâce à des initiatives individuelles et collectives qui ont prouvé que l'éducation n'est plus uniquement liée aux murs d'une école. Dans ce contexte si difficile, la jeunesse de Gaza s'est démarquée : elle n'a pas attendu les solutions, elle les a créées. Elle a fondé des groupes éducatifs, lancé des initiatives de soutien scolaire et offert des cours gratuits à ceux qui ne peuvent pas se permettre l'enseignement privé. Une preuve que la génération que l'on cherche à briser est aussi celle qui est capable de reconstruire ce qui a été détruit.
Aux côtés de ces efforts populaires, les initiatives communautaires et institutionnelles visant à préserver le système éducatif de l'effondrement ont également joué un rôle majeur. Parmi elles, l'organisation UJFP, qui a œuvré à l'établissement de centres éducatifs dans des zones hautement sensibles comme Al-Mawasi à Khan Younès et l'ouest de Nuseirat, des régions marquées par le déplacement, la surpopulation et le manque d'infrastructures éducatives alternatives. Ces centres ont permis d'offrir des espaces sûrs pour l'apprentissage, redonnant aux élèves l'accès à l'éducation après avoir perdu la possibilité de rejoindre leurs écoles traditionnelles. Ils sont devenus un modèle, l'éducation à Gaza ne meurt pas mais se réinvente chaque fois qu'un espace le permet. Ces centres n'étaient pas de simples salles de classe, mais des environnements de reconstruction psychologique et cognitive, permettant aux enfants de retrouver un rythme scolaire et aux jeunes de maintenir un lien avec leur avenir, loin du vide imposé par la guerre et du désespoir d'une crise persistante.
Aujourd'hui, la question la plus importante n'est pas : « Gaza peut-elle continuer à enseigner ? », mais plutôt : « Comment préserver la qualité de cette éducation et la développer malgré tout ? » La réponse commence par reconnaître que le véritable investissement ne réside pas seulement dans l'aide humanitaire temporaire, mais dans l'être humain lui-même, en particulier la génération qui portera les défis de demain et dirigera l'avenir. L'éducation à Gaza a besoin d'un renforcement global : soutenir les écoles et les centres communautaires, fournir des infrastructures éducatives flexibles capables de fonctionner en temps de crise, consolider l'enseignement numérique par des outils plus stables, et proposer des programmes de soutien psychologique, car un esprit qui étudie sous les bombardements n'est pas le même qu'un esprit qui apprend dans un environnement sécurisé. Le développement éducatif ne peut pas non plus se limiter aux programmes traditionnels, mais doit intégrer des compétences d'avenir telles que la technologie, les langues, l'innovation et la pensée critique, car aujourd'hui, la maîtrise du savoir est l'arme la plus puissante dans la lutte pour l'existence et la reconnaissance.
Et malgré toute la souffrance, l'espoir demeure, non pas par choix émotionnel, mais par nécessité imposée par les faits : une Gaza assiégée depuis des années continue de former des médecins, des ingénieurs, des créateurs et des entrepreneurs. Une Gaza dont les écoles sont détruites voit naître des centres éducatifs alternatifs. Une Gaza que l'on voudrait priver d'avenir bâtit son futur au milieu des décombres. Ici, l'éducation n'est pas seulement un parcours académique, mais un acte de résistance car il affirme que la bataille ne se mène pas uniquement avec des armes, mais aussi avec la pensée, la connaissance et la capacité de construire l'être humain malgré toutes les tentatives d'extinction.
Préserver ll'enseignement à Gaza aujourd'hui, c'est protéger l'avenir de la perte et garantir que les générations futures ne seront pas de simples victimes d'une réalité difficile, mais les bâtisseurs d'une nouvelle réalité. C'est peut-être là ce que redoutent le plus ceux qui misent sur l'épuisement de Gaza : qu'un seul étudiant tenant un livre soit plus dangereux pour les projets du désespoir que mille slogans sans impact. Car lorsque l'enseignement survit, l'histoire, l'identité et l'avenir survivent avec lui. »
Photos et vidéos ICI.
Retrouvez l'ensemble des témoignages d'Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l'Union Juive Française pour la Paix. *Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l'enfance. Tous les deux sont soutenus par l'UJFP en France.












